: Etat des lieux :

 

  1. Les étudiants dans la précarité, des êtres humains avant tout.

    En ce début d'année 2003, la majeure partie des étudiants dans la précarité sont concentrés dans le bâtiment F (résidence traditionnelle, CROUS de Cachan-Créteil). Il en existe aussi au bâtiment G (résidence traditionnelle), beaucoup plus rarement dans les nouvelles résidences (de type HLM), mais leur cas est moins criant car la pression se concentre à l'heure actuelle sur le F qui doit être détruit au courant de l'été 2003. Pour diverses raisons, le CROUS pratique une politique du cas par cas qui permet de se décharger d'une bonne partie de sa responsabilité [1].
    Il existe deux grands types d'étudiants dans la précarité habitant dans le bâtiment F. Ceux qui sont rentrés légitimement dans cette résidence et qui depuis un certain temps ne correspondent plus aux critères du CROUS. Ceux qui sont rentrés illégitimement dans des chambres non occupées, souvent en désespoir de cause face au non-traitement de leur cas (appelés “squatters”).
    Les premiers ne sont pas relogés dans les nouvelles résidences (manque de place dans le bâtiment G) du fait de leur incompatibilité à rester dans les résidences du CROUS : ils n'ont plus les moyens de payer leur loyer en totalité depuis un certain temps, ou ils n'ont plus les moyens d'étudier (non renouvellement du statut d'étudiant pour raison de non assiduité, par nécessité de travailler pour survivre ; etc.).
    Les seconds n'arrivent pas à se faire accepter par le CROUS qui refuse de les rencontrer, reçoivent des recommandations les priant de quitter le bâtiment.
    Une minorité déjà clochardisée squatte effectivement les locaux désaffectés : c'est ce qui a motivé le CROUS à démonter toutes les portes des chambres (voir § 3.). Il y a les traces de leur passage, mais nous ne les avons pas rencontrés. Nous connaissons leur existence par témoignage : ils ont en général la peur au ventre, viennent tard dans la nuit et disparaissent aux premières lueurs du jour.

    Des témoignages racontent que quelques personnes ont déjà été expulsées de force, leurs affaires évacuées par les balcons, leur porte enlevée. On peut voir qu'une jeune étudiante a vu ses affaires dispersées sur un balcon au dessus d'une entrée (ce qui justifie sans doute que tout soit resté sur le balcon), et a disparu : on peut voir encore aujourd'hui ses affaires de classe, ses papiers bancaires, son certificat du bac (...). Il est à l'heure actuelle difficile de préciser si ces témoignages relatent des rumeurs construites autour des éléments précisés ou des faits réels : nous n'avons pas pu rencontrer de témoins directs ; le service logement nie être impliqué dans cette affaire...
    Des policiers sont déjà rentrés dans le bâtiment : certains étudiants se les représentent comme étant visiblement à la recherche de sans papiers [2].
    Cette situation angoisse énormément les résidents qui ignorent si le soir leur chambre ne sera pas dévastée, leurs affaires éparpillées, et ce malgré le froid et les examens (!).
    Une assistante sociale qui se met à la disposition des étudiants une fois par semaine a la réputation de ne pas pouvoir résoudre le problème d'une cinquantaine (minimum) de cas : ne désirant pas affronter l'amertume d'une réponse négative supplémentaire, les étudiants désertent cette possibilité.

    Escaliers bât F CROUS Cachan


  2. Le CROUS de Cachan : ambiguïté d'une action sociale.

    Lu sur le site du CNOUS :
    Le CNOUS et les CROUS ont pour mission :
    • d'améliorer et de faciliter les conditions de vie et de travail des 2 millions d'étudiants qui fréquentent les établissements d'enseignement supérieur en France
    • d'accueillir les étudiants étrangers et de favoriser la mobilité en Europe.
    En France, le système d'aide sociale aux étudiants fait intervenir de nombreux acteurs (Etat, collectivités locales… ) parmi lesquels les Œuvres universitaires jouent un rôle de premier plan. Les principaux champs d'action des services de la vie étudiante sont : la restauration, le logement, les bourses et les aides sociales, la culture, les emplois et jobs temporaires, l'ouverture sur l'international, les voyages.
    Les CROUS gèrent notamment le dossier social étudiant (DSE) qui permet aux étudiants d'effectuer simultanément leur demande de bourse et de logement. Pour l'année 1999-2000, le CNOUS prévoit une progression de 40 000 boursiers, pour atteindre 450 000 bénéficiaires, soit 28% de la population étudiante. L'objectif du plan sur 4 ans (1998-2002) étant de parvenir à 30% d'étudiants aidés et d'augmenter de 15% le niveau moyen des aides.

    Il y a donc réellement une dimension sociale pour les étudiants de la part du CROUS. Si on peut estimer que le service logement n'informe pas assez précisément les étudiants en les renvoyant systématiquement vers une assistante sociale débordée lorsqu'elle vient une fois par semaine, les services du CROUS ne peuvent pas régler tous les cas.
    C'est pourquoi il ne s'agit pas de stigmatiser l'action du CROUS de Cachan. Il s'agit au contraire de compléter son action en aidant en particulier les résidents qui ont perdu leur statut étudiant ou qui ne rentrent plus dans les critères du CROUS : cela se fera avec l'aide d'autres organismes et associations.

    Nous avons relevé dans le compte-rendu du "Conseil de résidence" du CROUS du 22.1.3 :
    “Le CROUS a demandé de l’aide à la mairie pour la prise en charge et le relogement des résidents irréguliers du F. La réponse a été négative. Par contre, les contacts avec les foyers de jeunes travailleurs permettront sans doute de reloger ceux qui sont salariés dans les foyers des communes voisines. (...) Le CROUS souhaite que les résidents cherchent une solution de relogement, ils ont été avertis de la destruction prochaine du bâtiment. Par ailleurs, un des délégués du conseil de résidence[3] est en contact avec plusieurs résidents du F. Le CROUS indique que si nécessaire un processus juridique sera engagé.”
    Cela justifie le fait que nous ne cherchons pas à stigmatiser quelques groupes/institutions que ce soit sur ce campus dans lequel nous sommes (voulons être) neutres. Quand le problème est complexe, la solution ne peut pas être unique.

  3. Les conditions de vie dans le bâtiment F sont insalubres.

    Il n'y a plus d'eau chaude, que de manière provisoire et aléatoire (bouillante) au troisième étage. Le chauffage fonctionne mal. Les techniciens du CROUS retirent les portes des appartements dits vides et les brûlent avec les mobiliers après avoir retiré l'électricité et la robinetterie. Ils semblent que les fenêtres soient sciemment bloquées en position ouverte pour faire circuler les courants d'air glacial afin d'empêcher que des personnes puissent dormir ce qui n'empêche pas le phénomène. Les sanitaires (WC, douches) sont dans un état déplorable alors que des résidents "normaux" sont encore sur place. Les cuisines collectives sont hors d'usage ou barrées.

  4. Les habitants non reconnus sont soumis à une pression psychologique extrême.

    Profitant de la fragilité accrue par leur position, une stratégie de pression psychologique éprouvante est mise en place.
    D'un point de vue matériel, les conditions décrites ci-dessus correspondent à une déshumanisation humiliante : dans la nécessité d'aller se laver dans le bâtiment voisin, l'envie de rester propre se réduit grandement, surtout quand on a peur de circuler sur le campus. L'air des couloirs est frigorifique du fait des courants d'air, avec des bouffées pestilentielles provenant des détritus qui s'accumulent dans les chambres "ouvertes". Ces détritus sont dûs à la négligence habituelle de certains résidents non conscients du fait que plus les locaux sont dégradés, plus les conditions de vie sont difficiles : des témoignages parlent de rats se déplaçant sur les balcons. Cette situation est rendue possible par le retrait des portes.
    D'un point de vue officiel, des lettres demandant l'évacuation des locaux sont régulièrement déposées. Les techniciens passent fréquemment dans le bâtiment pour effectuer leurs travaux de démontage, interpeler les personnes en situation irrégulière. Enfin, pour la catégorie de ceux rentrés "régulièrement", les cautionneurs sont sollicités, menacés, ou voient les huissiers les visiter.
    D'un point de vue émotif, les intrusions des forces de l'ordre (rappelées régulièrement à titre de menace) ainsi que les expulsions (niées par le service logement, d'après les résidents effectuées au compte-goutte, mais dont certaines traces semblent prouver les témoignages recueillis) achèvent de confiner dans la terreur ces résidents qui voient leur avenir compromis (perdre ses effets, ses cours, ne plus savoir où dormir).
    Cette politique de pression psychologique réussit en grande partie à permettre une évacuation du bâtiment sans violence physique.
    Elle simplifie le travail du CROUS, mais ne résout en rien la précarité des résidents, qui sont au contraire tirés vers le fond par cette déshumanisation, cette désocialisation, et par cette pratique de terreur.
    Un plafond s'est effondré en février 2003 au 5e étage du F. Cela a aussi inquiété les résidents.

  5. Sécuritarisme :

    Lu dans le compte-rendu du "Conseil de résidence" du CROUS (dit "Cresid") du 22.1.3 :
    “Le commissaire de police de Cachan a accepté d’augmenter les patrouilles sur le campus, y compris dans les bâtiments. Les maître-chiens ne sont là que le WE et sont jugés pas assez visibles et pas assez actifs. Il est question de mettre en place une vidéo-surveillance, en particulier pour les parkings.
    Cependant, il est notoire que le niveau de sécurisation s'est énormément accru quand on considère que les nouveaux bâtiments type HLM disposent :
    • de portes blindées à digicode / les codes des résidences traditionnelles ont toujours été mis HS (par des utilisateurs opposés à cette pratique ?) ;
    • de portes de chambre à serrure blindée "incopiable";
    • parfois d'une double porte (T1bis).
    Il se trouve de plus une barrière à l'entrée du campus pour laquelle il faut un badge électronique (payant) afin de la passer.
    Nous ne disposons pas de statistiques pour savoir si la fréquence de la délinquance, des vols (...) a augmenté depuis que ces mesures ont été prises. Il est clair que la précarité ne contribue pas à rendre l'environnement plus sûr [4].

  6. Fin février 2003 : le CROUS bouge.

    Premier point : le cinquième du F a été évacué et fermé (les scellés ont été retirés les jours suivants). Les quatre autres étages sont saturés, le nombre de squats s'étant rapidement accrus en février malgré la politique d'enlèvement des portes. Le CROUS planifie d'évacuer aussi le 4e étage, ce qui ne peut être effectué que si certaines personnes ne sont pas relogées dans d'autres bâtiments.

    Deuxième point : d'après de nombreux témoignages, une liste a été établie par Mme Visconti, responsable du service logement du Crous de Cachan, de l'ensemble des occupants du F. Elle dispose donc d'un état des lieux précis des résidents irréguliers (étudiants ou pas).

  7. Depuis mars 2003 : les marchands de sommeil.

    Réapparition des portes enlevées : c'est une question pour laquelle nous n'avons pour l'instant pas de réponse. Mystérieusement, les portes sensées avoir été détruites ont été réinstallées. Cela correspond avec une vague de squattage sans précédant : en mai 2003, nous évaluons la population du F à une fois et demi ce qu'elle était avant son "vidage" par le CROUS : une chambre sur six est occupée par des familles avec très jeune(s) enfant(s). Le F n'a jamais été aussi peuplé !

    De fait, de nombreux échos nous rapportent la présence de marchands de sommeil (organisés) qui "relouent" les chambres à chaque fois qu'elles sont vidées... Cela correspondrait à un contrôle "ethnique" des lieux... en plus de constituer une exploitation supplémentaire des précaires par les précaires ! Mais cela ne profite-t-il qu'à eux ?

    Une chose apparaît clairement : le "vidage" du bâtiment a plus qu'échoué ! Le revirement récent a contribué à accentuer une concentration de squattage "ethnique" et à une prise en main des lieux par des organisations mafieuses, donc menaçantes...
    L'évacuation "douce" des lieux (par un règlement actif des décideurs de l'académie) est dorénavant trop éloignée pour être envisageable : cette dégradation de la situation sert donc les intérêts de ceux qui prêchaient la radicalité d'une évacuation stricte (ce qui simplifie sans doute le travail puisque le déplacement d'une compagnie de CRS suffirait). Cela ne règlera cependant, comme tout un chacun le sait, aucunement les situations des personnes concernées.


    Nous continuons notre enquête.


[1] Comme toujours, beaucoup d'étudiants acceptent ce traitement, en partie avec l'espoir qu'ils tireront mieux leur épingle du jeu que les autres.

[2] Lu dans le compte-rendu du "Conseil de résidence" du CROUS du 22.1.3 :La police de Cachan n’a pas effectué d’arrestation, contrairement à la rumeur qui court. Elle est intervenue une fois lors d’un problème ponctuel avec un résident devenu menaçant.” Nous avons effectivement eu des témoignages concernant cette intervention. Nous n'ignorons pas non plus le désespoir qui a poussé ce résident à "fondre les plombs" comme ces voisins nous l'ont rapporté. Notre action contribuera, nous l'espérons, à éviter ce type de "catastrophe" !

[3] Un des rares non normaliens...

[4] Le recourt aux forces de l'ordre est sans doute plus souhaitable que l'embauche de para-polices privées, mais cela va dans le sens du phénomène de pression psychologique explicité plus haut (§4).
Il semble d'après cette demande du Cresid que le sentiment d'“insécurité” s'accroisse malgré la mise en place d'une sécurité plus grande (deux portes blindées à franchir pour les résidences HLM, quand un simple crochet suffit pour pénétrer dans les chambres du F ; camera de surveillance à la porterie). La solution des patrouilles et de la video-surveillance menace nos libertés plus qu'elle ne nous protège : la dégradation du sentiment de sécurité provient d'un plus grand individualisme ; une des solutions à ce problème est de renouer les pratiques communautaires, c'est-à-dire retisser les solidarités locales...